CONTRADICTIONS DE SA NATURE 307
pousse cette sorte d'instinct, il aimait à montrer le mai inaperçu que la légèreté des hommes ne sait point voir; l'opinion commune le mettait en défiance; sous Tadmi- ralion, ou tout au moins sous Tindulgence convenue, il flairait le vice caché, la déception secrète, et il fallait qu'il les découvrît. Bien entendu, de telles découvertes ne se font guère sans quelque risque d'injustice ou de para- doxe : c'est par là qu'on paye cette clairvoyance supé- rieure. Mais le principal défaut de Tesprit d'Euripide, celui qui l'a le plus éloigné de la perfection, c'était que ce regard si pénétrant embrassait mal les ensembles. En présence de la complexité de la nature humaine, il ne suffit pas, pour être grand moraliste, de discerner délica- tement telle ou telle partie profonde de la réalité, il faut encore saisir d'une même vue tous les éléments essen- tiels qui donnent à un individu son aspect propre. Et en dehors de la morale, dans les problèmes de la philoso- phie et de la science, il en est de même. Or, pour ce pro- cédé synthétique, Euripide manquait de force et de mé- thode. De là sans doute et les contradictions de ses jugements et Tinconstance de ses conceptions drama- tiques. Ses idées, toujours ingénieuses, souvent neuves et hardies, étaient fréquemment incomplètes. Trop affirma- tives ou trop négatives, elles se heurtaient sans qu'il lui fût possible de les concilier; elles se remplaçaient brus- quement les unes les autres, sans pouvoir se lier entre elles dans une harmonie définitive.
D'ailleurs, chez cet homme de réflexion, il y avait un rêveur tendre et charmant ; nouvel élément de sé- duction et de contradiction. Satirique triste et désabusé, il avait à ses heures et en imagination une ingénuité d'enfant. 11 se représentait des êtres jeunes, naïfs, purs^ ignorants du mal et à peine effleurés encore par la réa- lité, des âmes dans leur première fleur, caressées par ces souffles doux et légers dont parle Sophocle, qui font
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