Aller au contenu

Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/335

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

LES PASSIONS 323

une force irrésistible. Telle est sa Phèdre dans VHip- polyle couronné^ telle était sans doute Sthcnébée dans Bellérophon, tel aussi le jeune Macareus dans Eole. Ce que son génie devinait et recherchait dans les rôles do ce genre, c'était la lutte obscure et violente de la nature contre elle-même, le conflit, non de l'instinct brutal et de la volonté éclairée, mais des instincts entre eux, ou du, désir combattu par Thabitude. Rien n'est plus beau ni plus frappant à cet égard que sa Phèdre. Elle est entraî- née et domptée par une passion victorieuse, qui la tient tout entière, qui Tagite comme une fièvre, qui Tobsèda et qui la dévore ; contre cette passion, elle n'a pas de volonté, pas de force morale, car c'est une âme faible et incertaine, mais elle a un instinct de pudeur et une ha-^ bitude de dignité, qui sont invincibles ; de là son trouble, sa honte, la délicatesse touchante et douloureuse de son aveu, et le charme de sa mort. Dans YHippolyte voilé, elle était plus hardie, puisqu'elle déclarait elle-même son amour au fils de Thésée; cette hardiesse devait for- cément se retrouver aussi chez Sthénébée ; mais à coup, sûr, dans Tun et dans l'autre de ces deux rôles, elle nais-, sait, au milieu d'un trouble intime et profond, d'une im- pulsion violente, et non d'une délibération. Le premier, Euripide a vraiment compris ce qu'il y a souvent d*in- eonscient dans la nature. Sophocle était le poète des vo- lontés toutes faites, des consciences claires, des âmes hautes et décidées ; celui-ci, plus humblement humain, se faisait l'interprète des élans obscurs et contradictoires, des tumultes secrets qui s'agitent en nous, des émotions involontaires et à demi inconnues qui surgissent tout à coup en paroles et en actes.

C'est sa tragédie de Médée qui nous montre en ce genr(^ la perfection de son art et par conséquent aussi ses li- mites. L'amour dans le rôle do Médée ne figure que comme la cause première des passions qui l'animent ; il

�� �