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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/336

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324 CHAPITRE VII. — EURIPIDE

est éteint, mais il s*est changé en une fureur de vengeance qu'un orgueil indomptable avive sans cesse. Cette fureur est aussi violente, aussi douloureuse, elle règne d'une façon aussi despotique que l'amour chez Phèdre ; mais, au lieu d'accabler l'âme, elle l'excite h l'action ; elle lui prête une force incroyable de dissimulation et de combi- naison, elle l'arme enfin contre ses instincts les plus profonds et la fait triompher dans une sorte d'égoïsme grandiose et sauvage. Plus celte fureur est impérieuse, plus la lutte des instincts est pathétique. Euripide, avec une simplicité tout antique, n'en a voulu mettre en jeu qu'un seul : ni l'ancien amour, ni la pitié n'arrêtent un seul instant sa Médée ; mais quand il faut frapper ses enfants, elle qui n'était plus femme se sent mère encore. Rîen de plus beau et rien en même temps de plus particulier à Euripide que ce monologue célèbre ; là éclate justement cette puissance qu'il a de faire agir à la fois toutes les forces profondes de la nature. Il faut le citer en grande partie, malgré son étendue, pour qu'on puisse y admirer autant qu'elles le méritent les fluctuations de cette âme orageuse et bouleversée :

<x mes enfants, mes enfants, vous avez donc une patrie et une demeure ; on vous enlève à moi, infortunée, et vous habi- terez ici, séparés à jamais de voire mère. Et moi, cependant, j'irai, fugitive, vers une terre étrangère, sans jouir de votre présence, sans être témoin de votre bonheur, sans que je puisse espérer faire un jour les apprêts de votre hjménée, ni pa- rer vos jeunes épouses, ni porter les flambeaux joyeux. O fu- neste orgueil ! C'est donc en vain, mes enfants, que je vous ai nourris, c'est en vain que je vous ai mis au monde au milieu des douleurs. Ah 1 autrefois, je me flattais de la douce pensée que vous soutiendriez un jour ma vieillesse et que la suprême consolation de ma mort serait d'expirer entre vos bras, — es- pérance chère à toute âme humaine 1 Hélas, elle est bien loin à présent, cette image souriante! Séparée de vous, il me faudra mener une vie amère et traîner une longue souffrance. Et

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