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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/337

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LES PASSIONS 325

vous, vos regards pleins de tendresse cherchent en vain votre mère î C'est là l'existence qu'on vous prépare...

» Hélas hélas ! pourquoi vos yeux me regardent -ils ainsi, ô mes enfants? Pourquoi me souriez-vous, ahl de votre dernier sourire ? douleur! Que vais-je faire? Toute ma force d'âme m'a soudain abandonnée, ô femmes, lorsque j'ai vu briller les regards joyeux de mes enfants... Non, je ne peux pas I Adieu, projets que je croyais arrêtés ; j'emmènerai mes enfants avec moi. Je voulais que leur mort fût le châtiment de leur père, mais en vérité c'est moi que j'allais punir d'une double souf- france I Non, non, je ne le ferai pas. Toutes mes résolutions sont dissipées.

» Et pourtant, qu'ai-jedit ? Quoi ! Je veux donc qu'on rie de moi, incapable de me venger de mes ennemis ? Ah I il faut oser. C'est lâcheté, que de laisser échapper des paroles qui trahissent mon âme ! Enfants, allez, entrez dans cette demeure. Si le soleil ne veut pas éclairer mon sacrifice, qu'il se dé- tourne I Ma main, elle, ne faiblira pas !

» Ah ! cœur trop emporté ! non, ne fais pas ce que tu mé- dites. Laisse-les vivre, ces enfants, épargne-les. Là-bas, dans l'exil, ils seront ma joie et mon espérance.

» Mais non, je ne laisserai pas à mes ennemis le moyen d'in- sulter mes enfants. C'est l'arrêt du destin, il n'y a pas à l'élu- der. Déjà la couronne est sur la tête de Creuse, déjà, je le sais, la fiancée royale expire dans le voile ardent. Allons, il faut descendre la voie douloureuse. Enfants, un dernier adieu. Donnez, donnez à votre mère, donnez vos mains, pour qu'elle y dépose ses baisers. mains chéries, ô tête bienaimée, ô doux et nobles visages, enfants, soyez heureux, non plus ici, mais là-bas, car le bonheur de la terre, votre père vous l'a enlevé. aimable étreinte, ô frais visage, ô douce et légère haleine ! Éloignez-vous, éloignez-vous; car je n'ai plus le courage de vous regarder, je suis vaincue; je vois toute l'horreur de l'acte que je vais commettre, mais l'emportement de mon âme est plus fort que ma volonté, et c'est par là que les mortels se perdent *. » ,

Avec les passions, ce qu*Eurîpide a le mieux repré- senté, ce sont les affections naturelles, la tendresse des pères et des mères pour leurs enfants, les sentiments

1. Mcdée, 1021.

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