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Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/350

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338 CHAPITRE VII. — EURIPIDE

ceux du Philoctète, aujourd'hui perdu; en réalité, il con- vient à un grand nombre d'autres. Le tour d'esprit phi- losophique du poète se laisse voir souvent dans les chants de ses chœurs, plus souvent encore là que dans le dia- logue proprement dit. Il y est plus libre, plus dégagé de l'action, plus à son aise par conséquent pour énoncer ces pensées générales qu'il aime. Ce sont souvent de vieilles idées; mais il est rare qu'en les exprimant il ne les ra- jeunisse pas par des allusions aux recherches de la sa- gesse contemporaine ou par l'aveu de ses propres préoc- cupations. Elles ne sont pas présentées, selon Tancienne mode, comme dt^s doctrines traditionnelles : ce sont les résultats de son expérience et de ses réflexions, et parla même elles invitent à penser. Dans Alceste^ par exemple, voici comment le chœur des vieillards proclame la toute puissance de la nécessité :

« Souvent, dans le commerce des muses, dans les hauteurs de la pensée, je me suis élancé, et touchant à mainte idée, je n'ai rien trouvé qui fût plus fort qu'Ananké, aucun remède à ses atteintes dans ces livres de Thrace, qu'a dictés la voix d'Or- phée, aucun entre tous ceux que Phébus a donnés aux Asclé- piades pour le soulagement des malheureux mortels.

» C'est la seule déesse dont il soit vain d'implorer l'image ou Pautel, la seule qui soit sourde à l'hommage du sacrifice. Ne t'appesantis pas sur moi, ô divinité puissante, plus lour- dement que tu ne Tas fait encore. Ce que Zeus décide, c'est en accord avec toi qu'il l'accomplit. Tu brises par ta force le fer des Ghalybes, et la volonté la plus âpre ne t'inspire aucun respect *. »

Si Euripide avait eu un génie moins inconstant, il sem- ble qu'il aurait pu se faire en ce genre un lyrisme à lui, grave et méditatif, que son éloquence et sa finesse au- raient rendu très personnel. 11 s'est contenté d'en donner çà et là l'exemple. Ce qui domine dans ses chœurs, c'est

1. Alceste, 962 et suiv.

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