MÉNANDRE 619
phante, c'est le méchant. Mieux vaudrait devenir âne que de voir des gens qui ne nous valent pas nous effacer par leur splendeur. >>
Ainsi traité, le lieu commun est une manifestation vive et amusante d'un état d'âme particulier. Il nous plait sans doute par tout ce qu'il contient d'aperçus suggestifs, mais bien plus encore parce qu'il s'offre à nous tout vi- brant des sentiments d'un homme. En le détachant du drame, nous le refroidissons. Ménandre n'a pas fait une anthologie ; poète, il a peint la vie.
Si l'on a détaché de ses œuvres tant de sentences, c'est qu'en faisant parler ses personnages selon leur caractère individuel, il a su, mieux qu'aucun autre, aiguiser leurs pensées. Caché en eux, il voit les choses à leur point de vue, mais il les voit avec une netteté, une hardiesse et souvent une profondeur qui dénotent un esprit tout à fait supérieur. De là, tant d'idées neuves et saisissantes, qui sont des traits de moraliste satirique autant que de poète * .
« Le pauvre, vois-tu, Gorgias, est toujours méprisé, même quand il a raison. Quoi qu'il dise, on lui attribue un seul mo- tif, l'intérêt. Si vous portez un manteau usé, vous passez tou- jours pour un sycophante, quels que soient vos sujets de plainte. »
Ou encore ^ :
« Dans un chœur, tous les choreutes ne chantent pas; il y en a deux ou trois qui sont muets et qu'on cache derrière tous les autres pour faire nombre. Voilà la vie. Les pauvres tien- nent de la place : ceux-là seuls vivent qui ont de quoi vivre. »
Puis des pensées qui étaient alors nouvelles, qu'on te-
1. Fragm. 93.
2. Fragm. 165.
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