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Démocrite, un esprit très pénétrant, un délicat observateur de la vie, un peu égoïste et froid peut-être, mais trop intelligent pour ne pas comprendre que l’égoïsme ne se suffit pas à lui-même et que le meilleur moyen d’être heureux, c’est de savoir quelquefois sortir de soi.

Ce fin moraliste était aussi un très bon écrivain. Les anciens font souvent l’éloge de son style. Cicéron en vante la clarté[1], la poésie, l’éclat[2], et Plutarque la vigueur[3]. Denys le cite comme écrivain à côté de Platon et d’Aristote[4]. Les fragments qui nous restent de ses œuvres sont trop courts pour que nous puissions le juger en pleine connaissance de cause. Ce sont souvent des maximes, des phrases générales qu’on a extraites de ses écrits précisément à cause de ce caractère, ou qu’on a pu condenser en les citant ; nous n’avons pas le droit d’affirmer que tous ses livres fussent uniquement rédigés dans ce style sentencieux et brillant. Il n’en est pas moins vrai que les phrases de cette sorte étaient nombreuses dans ses ouvrages de morale. Quelques autres passages relatifs à ses théories physiques présentent un caractère analogue : comme les anciens philosophes, Démocrite procède volontiers par affirmations dogmatiques et tranchantes. Il a peu de dialectique, peu de variété dans les tours. Mais il a de belles images, une phrase nette, ou les idées s’opposent vivement les unes aux autres, où les mots se choquent et brillent. D’où lui vient cette manière d’écrire ? Ce n’est pas des rhéteurs, qu’il n’a pu connaître que tard et d’une manière superficielle ; mais c’est plutôt de ses prédécesseurs en philosophie, dont

  1. Divin., II, 64, 133.
  2. Orat., 20, 67 ; de Orat., I, 11, 49.
  3. Propos de table, V, 7, 6, 2.
  4. Denys, Arrang. des mots, ch. xxiv.