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CHAPITRE III. — RHÉTORIQUE, HISTOIRE, ETC.

neuve, grande, inépuisable pour la curiosité. Nous avons déjà mentionné le récit militaire et personnel de Ptolémée, ainsi que les Éphémérides, officielles ou non, qui relatèrent les marches du roi de Macédoine et l’emploi minutieux de ses journées. Une foule d’autres récits furent publiés. Au reste, le conquérant lui-même semblait avoir sollicité le concours des historiens. Il était parti d’Europe avec un cortège de beaux-esprits, rhéteurs ou philosophes, qui avaient pour tâche principale, sans doute, de continuer à lui faire goûter, au milieu de ses campagnes, le plaisir délicat de leurs entretiens, mais qui devaient aussi répandre sa gloire par leurs écrits. C’est ce qui fut fait. D’autres vinrent à la suite des premiers, et, pendant un siècle, il y eut comme un « cycle d’Alexandre » incessamment parcouru par les historiens. La matière était belle, mais elle était dangereuse par sa richesse même pour des esprits que ni la pratique des affaires ni le respect austère de la science ne défendaient contre des tentations de toute sorte. La première de ces tentations fut, chez les contemporains du roi, le désir de le flatter : de même que les démagogues avaient flagorné le peuple d’Athènes, les historiens prirent l’habitude de flatter les princes. D’ailleurs, la grandeur des choses accomplies devait inviter les écrivains à enfler la voix : en dehors de toute flatterie, il était bien tentant, pour un Grec, d’être éloquent à si bon compte. Enfin la nouveauté des pays parcourus, leur éloignement presque fabuleux, le caractère exotique des hommes, des animaux, des plantes, de la nature entière, tout concourait à pousser les imaginations en verve un peu au-delà de l’exacte vérité. Graves inconvénients, auxquels certains hommes sans doute échappèrent plus ou moins, mais qui se firent fâcheusement sentir dans les œuvres de la plupart[1]. Laissons de côté les plus obscures de ces

  1. Sur l’ensemble des historiens d’Alexandre, le travail de Sainte-