Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
CHAPITRE IV. — LA POÉSIE ALEXANDRINE

ils savent que Pan est irritable à midi, que la vue des loups fait perdre la parole, que le mensonge fait pousser un bouton sur le nez du menteur. Ils consultent les sorciers et les vieilles femmes qui ont des remèdes pour tous les maux, des secrets utiles pour toutes les occurrences. Ils sont attentifs aux présages : un tremblement dans l’œil est signe qu’on va voir quelque chose[1]. Il faut quelquefois cracher par dessus son épaule pour conjurer le mauvais sort. Quelques-uns sont des esprits prosaïques et terre à terre, contents de leur tâche de chaque jour ; ceux-là sont surtout des moissonneurs[2]. Même les pâtres se plaisent à bavarder sur des riens[3]. Le plus souvent, ils sont amoureux : ils aiment Amaryllis, la noire et maigre Bombyca, ou de beaux éphèbes. En outre ils sont poètes et musiciens. Ici encore, nous l’avons vu, la réalité sert de point de départ à Théocrite, mais elle est aussitôt dépassée. Il refait les chants de ses bergers, et il les refait en grand poète. Parmi ces chants, les uns sont consacrés à leurs amours : l’un les plus jolis est la chanson que Battos fait entendre en l’honneur de Bombyca :

Muses de Piérie, chantez avec moi la délicate enfant. Car tout ce que vous touchez, ô déesses, vous le rendez beau.

Gracieuse Bombyca, tous t’appellent Syrienne, maigre et brulée du soleil : moi seul je te dis blonde comme le miel.

La violette aussi est noire, et l’hyacinthe gravée : cependant, pour les couronnes, on les cueille d’abord.

La chèvre court après le cytise, le loup après la brebis, la grue après la charrue ; et moi je suis fou de toi.

Je voudrais être aussi riche que l’était Crésus, dit-on ; nos statues, toutes en or, se dresseraient pour Aphrodite ;

Toi avec tes flûtes et une rose ou une pomme ; moi en costume neuf avec des chaussures d’Amyclées.

  1. Idyll. III, 37.
  2. Cf. Idyll. X (la chanson de Lityersès).
  3. Cf. Idyll. IV.