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CHAPITRE V. — POLYBE

conter l’histoire est celle où se dessine clairement la plus grande révolution politique de l’antiquité, la soumission du monde civilisé tout entier aux armes de Rome. En moins de cinquante-trois ans, comme le dit Polybe[1], Rome fait passer sous sa domination presque toute la terre habitable (221-168) ; dans les vingt-deux années suivantes, elle achève la conquête de la Grèce et la destruction de Carthage (168-146). Par une conséquence nécessaire, l’histoire doit changer de nature ; particulière, il faut qu’elle devienne générale ou universelle. Jusque-là, les diverses nations de l’antiquité vivaient chacune de leur vie propre et ne se rencontraient qu’exceptionnellement : désormais, leurs histoires s’enchevêtrent et se mêlent sans cesse, et il faut que le récit qu’on en fera reproduise cette unité, comparable à celle d’un seul corps. Polybe a vu nettement le caractère de cette transformation, qu’il a décrite avec précision dans sa préface[2]. Il a voulu faire non une série d’histoires particulières, mais une histoire générale, qui reproduisît avec vérité la vie totale de ce grand corps qu’est devenu le monde civilisé. Il a suivi son plan avec ampleur et régularité. À partir du IIIe livre, il entre, avec la guerre d’Annibal, dans le cœur de son sujet, menant de front l’histoire de l’Italie et celle de la Grèce. Et ainsi se poursuit jusqu’au bout, à travers ses quarante livres, cet immense tableau de la conquête romaine.

Malheureusement, l‘ouvrage de Polybe n’est pas arrivé intact jusqu’à nous. Les cinq premiers livres sont complets : ils nous conduisent jusqu’à la bataille de Cannes. Pour les treize livres suivants (VI-XVIII), nous avons encore de longs extraits textuels, qui nous ont été conservés dans des manuscrits spéciaux. Pour les vingt-deux

  1. Polybe, I, 1, 5.
  2. Polybe, I, 3, 3-4 ; I, 4.