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SA PHILOSOPHIE HISTORIQUE

le passé. Il ne faut pas confondre la cause (αἰτία) d’un événement avec ce qui en fut l’occasion, le prétexte (πρόφασις), ou simplement l’origine (ἀρχή), comme font souvent les historiens[1]. Dans l’occasion, le prétexte, l’origine, il n’y a qu’une coïncidence peu instructive. La cause, au contraire, est liée à l’effet par une loi rigoureuse. Chaque fois que la cause existe, l’effet suit nécessairement. En pareille matière, ce qui est vrai du passé l’est aussi de l’avenir. Voilà pourquoi il importe à l’homme d’État de savoir les vraies causes des événements passés, et pourquoi le premier devoir de l’historien est de les découvrir. Supprimez la recherche des causes, l’histoire pourra encore être une œuvre d’art ou d’amusement ; elle ne sera plus un enseignement ; elle manquera son but essentiel[2]. On retrouve ici la forte tradition de Thucydide, qui avait dit des choses analogues presque dans les mêmes termes[3].

Ces causes nécessaires et permanentes ne doivent être cherchées ni dans la volonté des dieux ni dans la fortune ou la destinée[4]. Ces différents noms, qui correspondent à des doctrines métaphysiques différentes, sont tous également extra-historiques. Comme homme, Polybe peut être stoïcien plus ou moins éclectique et croire en dernier ressort à une action souveraine de l’εἱμαρμένη ; ou épicurien, et croire à la τύχη ; ou enfin platonicien, et croire à la Providence. Comme historien, il laisse de côté tous ces problèmes transcendants ; il ne s’occupe pas de la fin dernière des choses, de leur cause suprême. Il ne s’occupe que des causes secondes et immédiates, de celles qui sont aisément abordables à la méthode scientifique et qui ont une action certaine et mesurable

  1. Polybe, III, 6.
  2. Polybe, III, 31, 12 ; 32, 6 ; VI, 1, 8 ; XII, 25 B, 1 ; etc.
  3. Thucydide, I, 22, 3-4.
  4. Polybe, XXXVII, 9, 1-4.