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DENYS D’HALICARNASSE

à son sujet une série de questions, arrêtées d’avance et toujours les mêmes ; c’est dresser son signalement suivant un formulaire, qu’il s’agit simplement de remplir. Comment ce procédé monotone se prêterait-il à une étude vraiment vivante des esprits ? C’est d’ailleurs, il faut le reconnaître, celui de toute la critique ancienne, de Cicéron en particulier[1]. Mais Cicéron atténue les défauts de sa méthode par la largeur de son plan, par la force de ses idées générales, par sa connaissance des hommes, par sa finesse et son éloquence naturelles. Denys, au contraire, les rend souvent plus sensibles par un dogmatisme raide, qui sent l’école, et par une certaine étroitesse de vues, que sa sincérité un peu âpre fait encore ressortir.

Admirateur passionné de Démosthène, il le considère volontiers comme la règle même du style oratoire. C’est de lui qu’on doit apprendre le choix des mots et l’art de les assembler[2]. Jugement fondamental en quelque sorte, sur lequel reposent tous ses jugements particuliers. Et non seulement cette superstition d’un orateur unique l’empêche d’être juste pour les autres, mais elle nuit même à l’appréciation qu’il fait de celui-là. Ses vues sur Démosthène, dominées par son parti pris, manquent de variété, et par conséquent aussi d’un certain degré de vérité. Il semble, à l’entendre, que le génie du grand orateur soit fait surtout d’une combinaison étonnante de petits calculs et d’une prodigieuse série de réussites partielles. Ainsi, ce qui nous frappe le plus en lui, c’est-à-dire la vie, le mouvement, la puissance de la dialectique, sensibles jusque dans les moindres détails de la

  1. Consulter sur ce point la préface de l’édition du Brutus de J. Martha, Paris, 1892.
  2. Arrang. des mots, ch. xviii : Ὅρος γὰρ δή τίς ἐστιν ἐκλογῆς τ’ ὀνομάτων καὶ κάλλους συνθέσεως ὁ Δημοσθένης.