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CHAPITRE II. — D’AUGUSTE À DOMITIEN

tif où s’enfermaient trop les Romains, un écrivain et un penseur, un Thucydide ou un Aristote, et représentons-nous l’admirable tableau qu’il aurait pu nous donner s’il eût voulu retracer à grands traits la marche inconsciente des races humaines vers l’unité morale et politique.

Il faut croire qu’une si large synthèse était plus difficile alors à réaliser qu’elle ne le paraît aujourd’hui. Peut-être n’avait-elle pas été assez préparée encore par les études de détail ; peut-être aussi manquait-il aux hommes de ce temps, pour la concevoir et l’entreprendre, cette sorte d’excitation intellectuelle, de confiance joyeuse et d’audace, qui, en certains siècles, doublent la puissance du génie. Quoi qu’il en soit, il ne fut donné à aucun d’entre eux de la réaliser. Tout au plus peut-on dire qu’elle a été comme un idéal confus et latent, dont l’influence s’est fait sentir plus ou moins à tous ceux qui ont touché alors à l’histoire, même aux compilateurs, même aux simples érudits. Cet idéal certainement se laissait entrevoir déjà dans la Bibliothèque de Diodore. Il n’était pas entièrement étranger non plus à Denys d’Halicarnasse, quand il racontait les origines de la ville qui avait conquis le monde. Nous allons le retrouver chez Strabon, chez Nicolas de Damas, chez tous les historiens du règne d’Auguste et de Tibère.


Entre tous, c’est Strabon assurément qui a été le plus près de le dégager et de le saisir. Son œuvre, tout incomplète et insuffisante qu’elle est, apparaît néanmoins, en son genre, comme la plus grande de ce temps[1].

  1. Consulter surtout sur Strabon l’excellent Examen de la Géographie de Strabon, par Marcel Dubois (Paris, 1891), où sont indiqués et discutés tous les travaux antérieurs. Parmi ceux-ci, mentionnons l’article Strabon de la Biographie générale, dû à Guigniaut, et les Straboniana d’Ettore Païs (Rivista di filologia, t. XV, 3-6).