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CHAPITRE II. — D’AUGUSTE À DOMITIEN

sien et à Titus, puis au roi Hérode-Agrippa[1]. Malgré les professions réitérées de sincérité absolue que fait l’auteur[2], il est bien difficile de croire que la préoccupation de plaire à ces augustes lecteurs et de se faire valoir lui-même auprès d’eux n’ait eu aucune influence sur son récit. Joseph s’applique manifestement à rejeter toute la responsabilité de la guerre et des destructions sur un seul parti, celui des zélotes ; et, par suite, il fait constamment l’apologie indirecte de sa propre politique ; en même temps, il disculpe les Romains de toute violence volontaire, et il prête à Titus une sorte de rôle idéal, dans lequel s’unissent toutes les vertus. Ce point de vue, plus ou moins conscient, l’a tout au moins empêché de montrer assez fortement ce qu’il pouvait y avoir de sincérité ardente dans le fanatisme de ceux qu’il appelle « les brigands ». Voilà pourquoi il ne nous représente pas l’âme juive en son entier, telle qu’elle se révéla au milieu de cette crise sanglante et de ces tempêtes. On sent trop dans son récit l’homme du sanhédrin, le pharisien, doublé d’un historiographe officiel. Malgré cela, il est impossible de ne pas reconnaître qu’il excite, en somme, un intérêt des plus vifs. La fermeté générale du dessin, la précision et l’abondance des détails, l’heureux choix des traits de mœurs, mêlés aux descriptions techniques, lui donnent une grande valeur historique et dramatique. L’auteur a cru, il est vrai, en augmenter l’effet, çà et là, par un fâcheux mélange de rhétorique, où se fait sentir l’influence de la sophistique contemporaine[3].

  1. Ibid. Cf. Autobiogr., ch. lxv, où est citée la lettre de remerciement d’Agrippa.
  2. Notamment G. des Juifs, Préface, § 5, fin : Τιμάσθω δὲ παρ’ ἡμῖν τὸ τῆς ἱστορίας ἀληθὲς, ἐπεὶ παρ’ Ἕλλησιν ἀμελεῖται. Cf. Antiquité juive, Préface, I : τὸν πόλεμον… ἐβιάσθην ἐκδιηγήσασθαι, διὰ τοὺς ἐν τῷ γράφειν λυμαινόμενους τὴν ἀλήθειαν.
  3. Voir, en particulier, le célèbre épisode de la mère qui mange son enfant et le discours ridicule que l’historien a cru devoir lui prêter (l. VI, ch. iii, § 4).