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CHAPITRE III. — RENAISSANCE AU IIe SIÈCLE


justement cette manière personnelle qui vaut la peine d’être définie[1].

Tout d’abord, quoiqu’il accepte sans réserve la vieille formule de l’idéal stoïcien, on sent bien vite qu’en fait il met cet idéal en rapport constant avec son propre caractère. D’autres ont demandé surtout au stoïcisme l’apaisement de l’âme, la sérénité bienfaisante, ou encore la joie intime de se sentir en accord avec les grandes lois du monde ; Épictète, qui s’est formé dans l’esclavage et en réaction quotidienne contre une autorité du dehors, lui demande avant tout l’affranchissement. Et sans doute, à pousser les idées jusqu’au bout, c’est toujours la même chose, sous un autre nom. Car cette liberté supérieure et absolue, le sage la trouve dans la conformité de sa volonté avec l’ordre divin, et cette conformité elle-même, il ne l’obtient que par l’abdication des désirs, qui aboutit à l’apaisement total. Mais de ce que ces idées se confondent, lorsqu’on les analyse, il ne s’ensuit pas qu’elles aient absolument la même valeur dramatique. Ce qui semble à Épictète le prix suprême de l’effort, c’est de se sentir indépendant, malgré les circonstances, malgré les hommes, malgré la force des choses extérieures, qui le froisse avec violence ou qui l’écrase. Esprit tenace et simple, toujours poussé dans une même direction par une énergie morale incomparable, il est l’homme d’une seule idée, que rien n’entame ni ne fait fléchir. Cette idée, c’est qu’il dépend de nous d’être libres, entièrement et souverainement libres, libres comme Dieu lui-même, et de devenir par là ses égaux en un certain sens, et qu’il suffit pour cela de juger sainement et de vouloir. Beaucoup d’autres, dans l’école stoïcienne, avaient dit cela avant lui ; mais nul encore ne s’était

  1. Sur Épictète moraliste, voir Martha, Les Moralistes sous l’empire romain, 5e édition, Paris, 1886, p. 155 et suiv.