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CHAP. III. — RENAISSANCE AU IIe SIÈCLE

mœurs et de caractères. Il lui fournit le moyen de mettre en œuvre vivement, avec à propos et sans embarras, les éléments de notation morale qui en valent la peine. Ces petites choses entrent dans son récit tout naturellement ; elles ne l’encombrent ni ne l’alourdissent jamais ; tout au contraire. Ce sont des traits rapides, qui piquent l’attention. Celle-ci en est excitée, non distraite. L’auteur sait mêler agréablement les anecdotes aux grandes scènes, insérer en passant le mot ou le détail qu’il lui convient de rappeler. Il semble, à le lire, que ce soient là des éléments nécessaires de sa composition ; tant sa main est habile à tresser ensemble ces fils de nature diverse et à en fondre les nuances dans la couleur générale du tissu. Mais qu’on y prenne garde : au milieu de ces petites choses, certains traits de grandeur morale éclatent d’autant plus qu’ils sont moins préparés. Dans un mot, dans une attitude, se révèlent tout à coup ce qu’il y a de plus noble dans la nature humaine. L’âme généreuse de Plutarque a le goût et l’instinct du sublime : elle excelle à le saisir et à le dégager. Il est certain que les Vies ont mis en lumière, ou, pour mieux dire, ont défini par des exemples, un certain genre de grandeur morale, qui, à cause d’elles, semble propre à l’antiquité. Lorsqu’on dit « un grand homme de Plutarque », on a dans l’esprit un type particulier, plus idéal peut-être que réel, mais vraiment admirable : la simplicité des mœurs, la droiture presque naïve, une certaine candeur même s’y allient aux plus hautes qualités, à l’héroïsme, à l’abnégation, au patriotisme exalté. Et si on y réfléchit, on s’aperçoit que cette notion est liée en nous au souvenir de quelques scènes très simples, de quelques traits de mœurs que Plutarque a su graver profondément dans nos mémoires. Sans nous en douter, quand nous prononcions ces mots, nous songions, en une vague réminiscence, à Aristide écrivant lui-même son nom sur le tesson du