Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t5.djvu/567

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
549
ORIGINES DE LA SOPHISTIQUE

valeur et de sa puissance, cette ambition devint plus vive encore. Or, entre toutes les formes littéraires, aucune ne lui convenait mieux que l’éloquence. C’était celle qui se prêtait au plus grand nombre d’usages, qui mettait le plus en lumière ses représentants, qui pouvait le plus aisément rassembler en elle-même les mérites divers de tous les genres, puisqu’elle touchait à la fois à l’histoire, à la jurisprudence, à la philosophie morale, à la dialectique, à la poésie même. Plus libre d’ailleurs que la poésie, plus mêlée aussi aux intérêts du jour et plus en état de s’en servir, elle semblait répondre, d’autre part, bien plus que la philosophie ou l’histoire, à une conception complète de la beauté, car elle faisait plus large place aux mérites de l’invention et de l’arrangement, sans parler de ceux de l’expression et du débit. Pour toutes ces raisons, elle était comme la forme prédestinée, sous laquelle l’art hellénique pouvait espérer renaître et fleurir encore, avec tout son éclat et toutes ses délicatesses.

Ainsi, ce furent vraiment les besoins de l’esprit grec et la force de sa tradition qui la poussèrent au premier rang. Mais c’est à l’état de la société qu’elle doit ses caractères propres.

Depuis la chute de la liberté grecque, l’éloquence avait déserté la place publique et avait dû renoncer aux grands sujets politiques. Pourtant, elle avait continué à s’exercer dans les écoles, et même à se produire au dehors, soit en présence d’auditoires choisis, soit dans des cérémonies, soit devant les magistrats. Mais l’école était son domicile propre. Tous ses représentants illustres étaient des maitres de rhétorique par profession, qui ne devenaient orateurs que par occasion. L’empire et la renaissance hellénique ne changèrent rien à cela. L’éloquence, privée de l’agora, eut toujours son foyer dans l’école, et ce fut de l’école qu’elle rayonna au dehors.