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CHAP. IV. — SOPHISTIQUE SOUS LES ANTONINS

Son caractère distinctif lui vient de là. Alors même qu’elle cherche à agir, dans les assemblées, devant les tribunaux, dans les ambassades, ce n’est jamais une éloquence d’action, au vrai sens du mot, car elle porte sans cesse avec elle les habitudes scolaires. Le sophiste est, par définition, un professeur qui compose des discours modèles, et, partout où il parle, sa préoccupation visible est toujours d’en composer de tels. Son éducation ne s’est pas faite au contact des hommes, dans la mêlée des intérêts et des passions ; uniquement instruit par la lecture, habitué à l’approbation docile de ses élèves ou d’auditeurs choisis, il ne peut avoir ni le sens de la réalité, ni cette sincérité d’inspiration qui vient du désir de faire triompher une idée juste. Quoi qu’il entreprenne, la grande affaire pour lui, qu’il s’en rende compte ou non, est de se faire admirer. Voilà pourquoi toute l’éloquence de ce temps est une éloquence d’apparat, une « sophistique » à proprement parler, qui vise surtout à paraître. Mais, telle qu’elle est, elle donne satisfaction à un besoin profond de l’hellénisme d’alors ; elle lui procure l’illusion de la beauté littéraire ; elle l’éblouit par des artifices prodigieux, qui ne sont sans doute que de l’art frelaté, mais qui éveillent chez ses admirateurs, presque autant que l’art vrai, la sensation de la puissance de l’esprit, grâce à la variété des moyens et à la surprise de l’effet.

Par ses origines historiques, la sophistique se relie sans interruption à l’éloquence des contemporains grecs de Cicéron. Elle procède des écoles alors florissantes en Asie et dans les îles. Nous la voyons grandir dans les Controverses de Sénèque le père, où figurent de nombreux rhéteurs grecs : mais ce n’est vraiment qu’à partir du règne de Néron, ou, mieux encore, après l’avénement des Flaviens, qu’elle commence à prendre sa place définitive dans le monde. C’est à Smyrne qu’elle jette le