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DOCTRINE STOÏCIENNE

raison, parcelle du Tout, enseigne à l’individu que son devoir (τὸ καθῆκον) est de vivre selon la nature, c’est-à-dire selon les lois que lui assignent les conditions de son existence et ses relations avec l’ensemble des choses. Quand il satisfait pleinement à ces lois, il est aussi parfait qu’il peut l’être. Cette perfection s’appelle la vertu (ἀρετή). La vertu totale embrasse les perfections corporelles aussi bien que celles de l’âme. Mais c’est seulement la vertu de l’âme qui est l’objet de la « théorie » morale. Cette vertu consiste à réaliser le Bien (τὸ ἀγαθόν), c’est-à-dire, selon le sens précis du mot grec, ce qui est bon pour l’âme, ce qui lui est utile, ce qui lui donne par surcroît la joie, conséquence naturelle de ce bien-être. Or le seul bien, pour l’âme, c’est le Beau (τὸ καλόν), c’est-à-dire encore, selon l’usage de la langue grecque, le Bien moral. En dehors du Beau (ou Bien moral), tout le reste est indifférent (ἀδιάφορον) : richesse, gloire, puissance n’ont rien d’essentiel ; ce sont des avantages, sans doute, par rapport à leurs contraires (προηγμένα, ἀποπροηγμένα), mais ce ne sont pas des biens proprement dits. Quant au Bien véritable, il est unique par essence, de telle sorte qu’il n’y a pas d’inégalités ni de degrés dans les biens : il n’y a que le Bien absolu d’une part, et de l’autre ce qui n’est pas le Bien.

Dès lors, le devoir (τὸ καθήκον), c’est-à-dire la conduite avouée par la raison (ὃ πραχθὲν εὔλογον ἔχει ἀπολογισμόν), est simple et clair : c’est de mépriser tout ce qui est indifférent et de s’attacher au seul bien. Le véritable sage (ὁ σοφός) est l’homme qui a su se retrancher dans cette forteresse inviolable de l’absolu, où il est désormais à l’abri des coups du sort. Le stoïcisme a célébré en termes enthousiastes le sage idéal qu’il imaginait : le sage est infaillible, il est riche sans argent, roi sans royaume, toujours heureux, toujours grand, seul capable de se suffire à lui-même. La foule des hom-