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CHAPITRE II. — PHILOSOPHIE AU IIIe SIÈCLE

mes, au contraire, attachée aux choses indifférentes, est vile et méprisable.

Il est aisé de railler le stoïcisme et de dire, par exemple, avec Cicéron, que le stoïcien est un homme qui met sur le même rang le crime de tuer son père et celui de tuer un coq[1] ; — ou avec Horace[2] :

Ad summum sapiens uno minor est Jove, dives,
Liber, honoratus, pulcher, rex denique regum,
Præcipue sanus, nisi cum pituita molesta est !

Mais il est à la fois plus juste et plus intéressant de reconnaître ce que l’humanité doit à ces penseurs hardis, à ces dialecticiens sublimes et un peu bizarres. Laissons de côté leur logique, malgré les nombreuses découvertes de détail dont elle a enrichi la science, et leur physique, qui n’est en somme qu’une construction a priori, un poème grandiose sans doute, mais enfin un poème, c’est-à-dire tout autre chose qu’une œuvre de science, et en outre un poème inspiré d’Héraclite. Restons sur le terrain de la morale. Ici, combien ils sont originaux !

Très Grecs toujours, assurément, par le caractère intellectualiste de leur doctrine, par leur conception du rôle de la raison, par leur dialectique, par leur audace même dans le paradoxe ; mais combien nouveaux aussi par cette affirmation capitale, qu’entre le bien moral et tout le reste, il n’y a aucune commune mesure ! Le bien moral est tout, le reste n’est rien. Ni Aristote ni même Platon n’étaient allés jusque là. La vertu, pour la pensée grecque, n’était guère qu’une bonne affaire comme une autre, seulement plus noble et plus sûre. L’absolu véritable répugne au fond à l’esprit pondéré de la Grèce classique. Faut-il donc songer, à ce propos, aux origines,

  1. Pro Murena, 29.
  2. Epist. I, 1, 106. Cf. Sat. I, 3, 124-126.