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CHAP. V. — HELLÉNISME ET CHRISTIANISME

casion d’une condamnation prononcée contre des chrétiens par le préfet Urbicus, Justin explique pourquoi les fidèles ne recherchent pas la mort, quoiqu’ils fassent profession de ne pas la craindre ; puis, raisonnant sur les persécutions, il y découvre, dans les sentiments des persécuteurs et dans ceux des persécutés, d’une part la malice des démons et de l’autre la puissance de Dieu. Les empereurs auxquels il s’adresse sont Antonin le Pieux et Marc-Aurèle[1].

Le Dialogue avec le juif Tryphon, aujourd’hui incomplet, a été composé après la première apologie[2]. C’est une réfutation très étendue des arguments que les Juifs opposaient au christianisme. La dispute y est donc exclusivement entre Juifs et Chrétiens, et par conséquent cette œuvre est bien plus étrangère à l’hellénisme que les précédentes. Ce qu’elle offre de plus intéressant pour le lecteur profane, c’est, d’un côté, le grand effort de l’auteur pour démontrer que le dogme chrétien n’est pas en désaccord avec le monothéisme intraitable d’Israël, et, de l’autre, sa conception du christianisme comme religion universelle, capable de réaliser les promesses dont Israël s’était cru dépositaire.

Justin n’est pas un écrivain. Il ne sait pas plus ordonner chaque phrase en particulier que ses argumentations en général. Mais, ce qui vaut mieux, c’est un homme de cœur, qui intéresse par ses hautes qualités morales, et un philosophe, dont la pensée est toujours curieuse à suivre. Nul ne représente mieux le mouvement d’idées, qui, sous l’influence de l’hellénisme, s’éveillait alors chez un certain nombre de chrétiens. Il est le premier, parmi ceux-ci, qui semble s’être préoccupé de juger sérieusement la philosophie païenne. Et ce jugement est tout autre chose qu’une condamnation

  1. Ch. xv et ch. ii. Bardenhewer, Patrol., § 16, 3.
  2. Renvoi au ch. cxx.