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JUSTIN

tranchante. Il reconnaît chez les païens une certaine connaissance de la vérité.

Tous ceux qui ont écrit ont pu, grâce à la semence de raison qui était naturellement en eux (διὰ τῆς ἐνούσης ἐμφύτου λόγου σπορᾶς), apercevoir obscurément ce qui est[1].

Par suite, presque toutes les écoles ont vu des parcelles du vrai, mais aucune n’a pu embrasser la vérité dans son ensemble ; et, de là, leurs contradictions ridicules :

Je suis fier d’être reconnu chrétien, je revendique ce nom de toutes mes forces. Non pas que les enseignements de Platon soient étrangers à ceux du Christ (οὐχ ὅτι ἀλλότρια ἐστι τὰ Πλάτωνος διδάγματα τοῦ Χριστου), mais ils n’y sont pas semblables en tout (ἀλλ’ ὅτι οὐκ ἔστι πάντη ὅμοια). Pas plus d’ailleurs que ceux des autres Grecs, stoïciens, poètes, historiens. Car si chacun d’entre eux, pour sa part, apercevant quelque parcelle du verbe divin dispersé, qui était en rapport avec sa propre nature, l’a bien exprimée[2], ils ne s’en sont pas moins contredits les uns les autres dans les choses essentielles, et ils ont ainsi montré qu’ils ne possédaient ni la science suprême ni la connaissance irréfutable[3].

Sous l’influence de ces idées, il va jusqu’à reconnaître, dans quelques philosophes païens, des chrétiens avant le christianisme :

Ceux qui ont vécu avec le verbe (οἱ μετὰ λόγου βιώσαντες) sont des chrétiens, bien qu’ils aient été regardés comme des athées, par exemple, entre les Grecs, Socrate et Héraclite, et ceux qui leur furent semblables[4].

Ce sont là de nobles sentiments qui nous rendent Jus-

  1. Seconde Apolog., ch. xiii.
  2. Ibid. : Ἕκαστος γάρ τις ἀπὸ μέρους τοῦ σπερματικοῦ θείου λόγου τὸ συγγενὲς ὁρῶν, καλῶς ἐφθέγκατο.
  3. Ibid., Cf. même ouvr., ch. vii, l’éloge de la morale stoïcienne.
  4. Première apologie, ch. xlvi.