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ÉPICURE ÉCRIVAIN

cette tradition, il faut l’avouer, ne faisait pas honneur au paganisme.

Comme écrivain, Épicure a été jugé sévèrement en général par les anciens. Lui-même paraît avoir dit qu’écrire n’était pas une grande affaire (οὐκ ἐπίπονον τὸ γράφειν)[1]. Les juges les plus favorables, comme son biographe Diogène Laërce, ne trouvent guère à louer dans son style que la clarté[2]. Cicéron lui refuse jusqu’à cette clarté même[3]. Denys d’Halicarnasse, étudiant les différentes sortes de style, écarte dédaigneusement d’un mot Épicure et les Épicuriens, comme étrangers à tout art de style[4]. D’autres parlent de sa lourdeur, de son défaut d’harmonie et de pureté[5]. Ces jugements ne doivent pas être acceptés tout à fait sans réserves ou du moins sans explications. L’obscurité que Cicéron reproche à Épicure vient surtout d’une terminologie spéciale dans l’intelligence de laquelle il faut d’abord entrer. Ce langage technique et abstrait est assurément bien loin de la belle simplicité classique. Mais une fois qu’on en a la clef, on trouve qu’il n’est pas sans mérites. Épicure sait trouver la formule brève et pleine qui grave la pensée, Il a du nerf et du trait. Son style ne laisse voir ni émotion ni imagination ; mais on y trouve parfois une sorte de grandeur qui vient de la gravité de sa pensée, de la conviction sereine avec laquelle il énonce ses aphorismes, de l’autorité qui s’attache à cette belle assurance de sa foi philosophique : il parle en homme qui a touché le port et qui, du rivage, voit le reste de

  1. Tel est du moins le texte qui paraît se dégager d’un passage altéré de Denys d’Halicarnasse (Arrang. des mots, c. 24).
  2. Σαφήνεια (X, 13).
  3. De Divin., II, 4, 12 et II, 6, 18 ; De Nat. Deor., I, 31, 85.
  4. Arrang. des mots, c. 24.
  5. V. les textes d’Athénée (V, p. 187, E), de l’astronome Cléomède, de Sextus Empiricus (Adv. Math. I, 1), réunis par Usener, p. 88.