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CHAPITRE II. — PHILOSOPHIE AU IIIe SIÈCLE

les assemblées politiques, où se plaident le pour et le contre sur une question, on pèse les avantages et les inconvénients d’une mesure législative, et, si la passion ne vient pas troubler la délibération, le vote est le résultat définitif des vraisemblances que les orateurs ont fait valoir. Le vote n’est qu’une manière convenue de chiffrer le problème… La méthode de Carnéade, comme du reste toutes les méthodes, ne fait donc qu’ériger en règles plus ou moins judicieuses ce qui se fait tous les jours dans la pratique de la vie[1]. » Il y a bien de la vérité dans ces réflexions, mais peut-être ne suffisent-elles pas à résoudre le problème. On n’est pas sceptique pour regarder, en fait, beaucoup d’opinions comme incertaines, si l’on admet aussi, au moins d’une foi implicite, qu’il y a une vérité objective connaissable et qu’il y a théoriquement une méthode pour la connaitre. Or la plupart des hommes dont parle M. Martha ont cette foi profonde. On est sceptique au contraire si on ne l’a pas. Or la nouvelle Académie ne l’avait pas. Elle est donc foncièrement sceptique, malgré l’atténuation apparente qu’elle apporte à la doctrine par l’emploi du mot « probabilisme ». En somme, Carnéade revient presque, je le répète, à Protagoras. Sa méthode peut suffire, dans la pratique, à la conduite de la vie. C’est peut-être une bonne philosophie d’avocat, et on comprend qu’elle ait souri à Cicéron, qui y mêle d’ailleurs quelque chose de la gravité romaine. Mais, en principe, elle est destructive de toute science, et, même dans la pratique, si elle est pleinement consciente, si elle est appliquée par des Grecs, toujours sophistes par quelque endroit, elle conduit directement à l’indifférence pour la vérité et aux

  1. Ouvrage cité, p. 67. — Cicéron disait aussi que « plaider le pour et le contre, c’est le meilleur moyen de trouver la vérité » (Rép. III ; 4).