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HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE GRECQUE

qui modulait les vers sans les chanter, par le simple effet du rythme. Pour débuter, une courte prière adressée à Zeus ou au dieu que la circonstance désignait, et, aussitôt, il entamait son récit.

Ce récit avait pour sujet un épisode détaché d’une des grandes légendes héroïques (οἴμη) qui circulaient alors partout. Le récitant indiquait d’abord en quelques vers ce qu’il allait raconter en détail, et, pour marquer que ce récit lui était inspiré par les dieux, il priait la Muse, déesse à la fois de l’invention et de la mémoire, de lui suggérer ce qu’il avait à dire. Il exposait ensuite brièvement la situation initiale, en se reportant à des faits connus de tous. À partir de là, son invention était à peu près libre. Sur le fond traditionnel, il avait pu, en composant sa narration, broder à sa fantaisie. Seuls, les grands événements et les grands personnages lui étaient imposés ; tout le détail lui appartenait ; et, pourvu qu’il se conformât aux données générales de la tradition, rien ne l’empêchait de faire agir et parler les héros à sa guise. Il imaginait des combats, des rencontres, des disputes, des entretiens, combinait des péripéties, composait des discours. Était-ce de l’histoire ou de la légende ? Personne alors ne songeait à se poser cette question, ni lui ni ses auditeurs. Si le récit était émouvant, si les actes et les paroles étaient en rapport avec une certaine vraisemblance à la fois idéale et humaine, on admettait volontiers que les choses avaient dû se passer ainsi. En un temps où l’on croyait sentir partout une suggestion divine, jusque dans les manifestations vulgaires de l’industrie humaine, on ne pouvait douter que de si beaux récits ne fussent inspirés par les dieux ; et, sans distinguer le fond de la forme, on admettait volontiers que ceux-ci révélaient le passé au poète, en même temps qu’ils lui dictaient ces belles expressions qui ravissaient les âmes. Les chants de l’aède étaient donc écoutés avec une sorte de ferveur, comme quelque chose de divin. Ces hommes