— Nous gagnons, tout compte fait, chacun trois mille deux cents francs ?
— Comment ?
— Oui, monsieur Boulard et moi étions de moitié, et je jouais pendant qu’il était venu vous retrouver, pour lui et pour moi.
— Ainsi, monsieur Marius, il ne vous suffit pas de jouer vous-même, vous faites jouer les autres pour vous ?
— Je vais vous expliquer…
— Inutile. Monsieur Stockton, voulez-vous me remettre ces trois mille deux cents francs ?
— Mais, mademoiselle, je ne sais si je dois…
— Vous devez. N’est-ce pas, monsieur Boulard ?
— Évidemment, mais…
— Mais ? pas de mais ! Donnez…
— Donnez à mademoiselle, monsieur Stockton.
— Voilà, mademoiselle, trois mille francs en billets, et deux cents francs en or.
— Merci, monsieur Stockton. J’ai donc à vous treize mille trois cent quatre-vingt francs, car je suis gentille, voici vingt francs !
— Ah !
— Et quand vous les aurez dépensés, je les remplacerai !
— Toutes les semaines, comme au collège.
— Et remerciez monsieur Stockton. Il est heureux qu’il ait pris vos intérêts en mains, car joueur comme vous l’êtes…
— Peut-on dire !
— Vous auriez, vous, reperdu jusqu’à votre dernier centime !
Stockton s’amusait à voir la tournure que prenait la scène, un pâle sourire effleura ses lèvres, ce qui, chez lui, constituait une marque de gaîté folle.
— Monsieur Boulard, dit-il, je crois que pour ma peine, vous me devez bien une bouteille de Pommery-Grenot, grande marque !
— Je crois bien, dit Marius. Allons au café, mais…
— Mais quoi, qu’est-ce que vous avez à me regarder avec des yeux suppliants ?
— Miss Ketty, donnez-moi encore vingt francs. La bouteille de Pommery coûte vingt-quatre francs !
— Allons, tenez, mendiant, les voilà !
— Vous ne venez pas avec nous ?
— Non, il est — tard, je rentre dans ma cabine.
— Alors, bonsoir ?
— Bonsoir. Bonne nuit, monsieur Stockton !
— De doux rêves, miss Ketty !
— Merci. Ah ! vous savez, dit la jeune fille en revenant vers Marius.
— Quoi donc ?
— Eh bien, vous savez, vos bourdonnements, c’est extraordinaire ! J’y crois presque. Bonsoir !
Et Ketty s’en alla en riant.
— Votre fiancée est vraiment charmante.
— N’est-ce pas. Mais vous savez donc que nous sommes fiancés ?
— On me l’a déjà dit. Si vous voulez, nous boirons le champagne à sa santé.
— Allons, dit Marius, passez, je vous en prie !
Et tous deux se dirigèrent vers le café.
Le champagne l’excitant, Marius fut plein de verve. Quant à Stockton, il fut éblouissant et lança au moins une dizaine de paroles dans la conversation. Puis, la bouteille finie, tous deux se dirigèrent vers leurs cabines,