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Page:Cros - Le Collier de griffes, 1908.djvu/197

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bien des savants avaient, avant moi, considérées comme absolument chimériques. Dans l’espace d’une heure et demie à peu près, mon compteur avait enregistré neuf cent quarante-quatre baisers.

L’instrument placé dans ma bouche me gênait ; j’étais préoccupé de mes recherches, et d’ailleurs les activités feintes n’égalent jamais les réelles. Si l’on tient compte de tout cela, on verra que ce nombre de neuf cent quarante-quatre peut être souvent dépassé par les gens violemment amoureux.

Cette exquise période de bonheur pour elle et de fructueuses études pour moi dura quatre-vingt-sept jours. J’avais établi la série de faits décisifs sur lesquels la science de l’amour doit nécessairement se fonder, sauf la neuvième et dernière partie dans ma subdivision. Cette neuvième partie a pour titre : Les effets de l’absence et du regret.

L’étude devenait délicate ; heureusement que je pouvais compter sur Jean (domestique dévoué) et sur mes fidèles préparateurs, physiciens, chimistes, naturalistes.

« Virginie, dis-je donc un matin, rêve bleu de ma vie, étoile de mon avenir blafard, j’ai oublié dans tes bras quelques billets à ordre qu’on a protestés. Je dois donc momentanément me soustraire aux lueurs de tes yeux, au magnétisme de tes baisers, à l’éblouissement de tes étreintes, et aller laver cette tache de ma vie commerciale. »