Page:Cros - Le Collier de griffes, 1908.djvu/217

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j’avais réussi à réveiller chez elle un ravissant fond de nature, masqué par tout ce plâtrage de fiction. J’y avais réussi en me faisant naïf et primitif, - il paraît que je le suis réellement, - en m’obstinant à ne voir en elle que la vierge éternelle, la fleur intacte.

J’ai mal fait, peut-être ; j’en savais assez pour ne pas croire à cette pureté. Mais je n’ai pas de regrets. Mon rêve l’avait transformée et embellie en fait. Ma naïveté la charmait, et ne voulant pas la troubler, elle se mettait à l’unisson.

Puis, parfois elle croyait, plus naïve que moi encore, me déguster en connaisseuse. Je feignais de ne pas le voir.

Elle se plaignit d’abord du peu d’influence qu’elle avait sur moi, reprochant les amours antérieures et les rêves possibles. Je lui faisais tout faire, affirmait-elle sans jamais dire « je veux ». Elle sentait quelque chose d’immodifié en moi, sous l’obéissance extérieure absolue, exagérée. Cela a grandi et elle est devenue mon ennemie intellectuelle. Mais l’âme et le corps - sinon l’esprit - étaient à moi. Pénible période, cependant. Je rêvais par instant l’éloignement et la liberté.

Mais nos âmes étaient et seront toujours d’accord ; ma lassitude était toute physique. J’ai pensé qu’elle en sentait peut- être autant, et j’ai exigé qu’elle fît son voyage d’été habituel. J’étais tenu à Paris ; le sachant elle consentit à partir sans moi.

Alors ont eu lieu un ou deux faits de fatalité qu’on