Page:Cros - Le Collier de griffes, 1908.djvu/219

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qu’elle m’aimait toujours, et je n’étais que plus désolé, plus épouvanté de sa folie. J’ai agi, parce qu’il méritait tout. Il s’est dérobé, il s’est effondré sans la résistance que demandait ma rage.

Oh ! l’horreur de mon âme en ce temps ! Voici un projet de lettre pour elle (je ne lui ai jamais écrit) :

« Vous avez préféré une gloire de mensonge (et quelle gloire !) à la pureté, à la justice, à l’amour. Vous êtes maudite. Vous êtes damnée. Restez le cœur vide. Pour moi, je ne reviendrai plus. Votre acte est si trivial, si laid, qu’il m’a ôté même ces défaillances de raison, ces vagues désirs qu’on a toujours de revenir vers l’aimée d’hier. Je reverrais en vous celle qui n’a jamais été ce que j’avais cru.

« Préférer la joie inepte d’arriver à passer pour ce que vous n’êtes pas aux ivresses sacrées de l’amour, c’est de la démence vulgaire, c’est de l’immoralité de carrefour.

« Je ne vous regrette pas ; car vous n’avez jamais été une vraie amoureuse. Je m’étais trompé. Je ne vous hais pas, je vous plains. »

Ainsi mon épouvantable douleur devenait de la rage et des injures. Pourtant, elle m’aurait rappelé, tendu les bras… à certaines heures grises, oui, j’aurais obéi, comme un fou, comme un homme ivre ; mais à d’autres moments, non ! non ! Elle avait trop mal fait.

Puis des mois, des mois. Tout était noir ; toute espérance fermée, toute expansion étouffée en ma poitrine. Me réveillant pour imaginer de vils retours,