Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/306

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Je m’étonne qu’on n’ait pas rasé le palais aux souvenirs incommodes : mais pour le voyageur, c’est une bonne fortune que de rencontrer un monument remarquable par son air de vétusté dans un pays où le despotisme rend tout uniforme, tout neuf ; où l’intérêt dominant efface chaque jour les traces du passé. Au reste, c’est cette mobilité qui explique pourquoi le vieux palais Saint-Michel est debout ; il a été oublié. Sa masse carrée, ses fossés profonds, ses souvenirs tragiques, ses escaliers dérobés, ses portes secrètes si favorables au crime, son élévation peu ordinaire dans un pays où tous les édifices me paraissent écrasés, lui donnent un style imposant ; avantage rare à Pétersbourg. Je m’étonne à chaque pas de voir la confusion qu’on n’a cessé de faire ici de deux arts aussi différents que l’architecture et la décoration. Pierre le Grand et ses successeurs ont pris leur capitale pour un théâtre.

Je fus frappé de l’air effaré de mon guide quand je le questionnai le plus naturellement que je pus sur ce qui s’est passé dans le vieux palais Saint-Michel. La physionomie de cet homme disait : « On voit bien que vous êtes un nouveau débarqué. »

Vous voyez que tout le monde ici pense à ce que personne ne dit. L’étonnement, la terreur, la défiance, l’innocence affectée, l’ignorance jouée, l’expérience d’un vieux matois difficile à duper faisaient