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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/72

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Leur première entrevue fut touchante, surtout par la surprise du prisonnier. À peine le vieux soldat eut il aperçu ma mère qu’il se crut délivré. En effet, sa jeunesse, sa beauté, sa timidité, qui n’empêchait pas qu’elle n’eût, quand il le fallait, un courage de lion, inspirèrent bientôt un tel intérêt au public impartial, aux journalistes, au peuple et même aux juges du tribunal révolutionnaire, que les hommes qui avaient résolu la perte du général voulurent effrayer le plus éloquent de ses avocats, sa belle-fille.

Le gouvernement d’alors n’en était pas encore venu au point d’impudeur où il parvint depuis. On n’osa faire arrêter ma mère qu’après la mort de son beau-père et celle de son mari ; mais les hommes qui craignaient de la mettre en prison ne craignirent pas de commander et de payer son massacre ; des septembriseurs, comme on appelait à cette époque les assassins soldés, furent placés pendant plusieurs jours sur les marches du palais de justice ; et l’on eut soin d’avertir ma mère du danger qu’elle courrait chaque fois qu’elle oserait se présenter au tribunal. Rien ne l’arrêta ; on la voyait tous les jours à l’audience assise aux pieds de son beau-père, où sa courageuse présence attendrissait jusqu’aux bourreaux.

Entre chaque séance, elle employait les soirées et les matinées à solliciter en secret les membres du tribunal révolutionnaire et ceux des comités. Ce