Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 1, Amyot, 1846.djvu/83

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publiée n’était pas de ceux qu’on cachait aux prisonniers. Il fut placé à dessein sous les yeux de mon père, par le geôlier de la Force, le père de Louise. Ceci eut lieu le matin du jour choisi pour l’évasion.

L’après-midi, un peu avant l’heure convenue, ma mère arrive à la prison. Elle trouve au bas de l’escalier Louise fondant en pleurs. « Qu’as-tu, ma fille ? » lui dit ma mère. « Ah ! madame, » répond Louise, oubliant dans ce moment le tutoiement de rigueur, « ah ! madame, venez le décider, vous seule pouvez encore lui sauver la vie ; depuis ce matin je suis à le supplier inutilement ; il ne veut plus entendre parler de notre projet. »

Ma mère, craignant d’être espionnée, monte l’escalier tournant sans répondre. Louise la suit. Cette bonne fille, avant d’entrer dans la chambre du prisonnier, retient une seconde fois ma mère sur le palier, et lui dit très-bas : « Il a lu le journal. » Ma mère devine le reste : connaissant l’inflexible délicatesse de cœur de son mari, elle s’arrête avant d’ouvrir la porte ; ses genoux manquent sous le poids de son corps, elle chancelle comme si elle le voyait déjà monter à l’échafaud. « Viens avec moi, Louise, » dit-elle, « tu auras plus de pouvoir que moi pour le vaincre, car c’est pour ne point exposer ta vie qu’il veut sacrifier la sienne. » Louise entre chez mon père,