Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/125

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Savez-vous ce que c’est que de voyager en Russie ? Pour un esprit léger, c’est se nourrir d’illusions ; mais pour quiconque a les yeux ouverts et joint à un peu de puissance d’observation une humeur indépendante, c’est un travail continu, opiniâtre, et qui consiste à discerner péniblement à tout propos deux nations luttant dans une multitude. Ces deux nations, c’est la Russie telle qu’elle est, et la Russie telle qu’on voudrait la montrer à l’Europe.

L’Empereur, moins que personne, est garanti contre le piége des illusions. Souvenez-vous sans cesse du voyage de Catherine à Cherson[1] : comme elle n’allait pas regarder derrière les coulisses de ce théâtre, où le tyran jouait le niais, elle crut ses provinces méridionales peuplées, tandis qu’elles restaient frappées d’une stérilité causée par l’oppression de son gouvernement, bien plus encore que par les rigueurs de la nature. La finesse des hommes chargés par l’Empereur des détails de l’administration russe expose encore aujourd’hui le souverain à des déceptions du même genre. Aussi ce fait me revient-il souvent à la mémoire, et je le rappelle à la vôtre tout autant de fois.

Le corps diplomatique, et en général les Occidentaux, ont toujours été considérés, par ce gouvernement à l’esprit byzantin et par la Russie tout entière,

  1. Voyez Lettre onzième du tome ler.