Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/126

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comme des espions malveillants et jaloux. Il y a ce rapport entre les Russes et les Chinois que les uns et les autres croient toujours que les étrangers les envient ; ils nous jugent d’après eux.

Aussi l’hospitalité moscovite tant vantée est-elle devenue un art qui se résout en une politique très fine ; il consiste à rendre ses hôtes contents aux moindres frais possibles de sincérité. Parmi les voyageurs, ceux qui se laissent le plus débonnairement et le plus longtemps piper sont les mieux vus. Ici la politesse n’est que l’art de se déguiser réciproquement la double peur qu’on éprouve et qu’on inspire. J’entrevois au fond de toute chose une violence hypocrite, pire que la tyrannie de Bati, dont la Russie moderne est moins loin qu’on ne voudrait nous le faire croire. J’entends parler partout le langage de la philosophie, et partout je vois l’oppression à l’ordre du jour. On me dit : « Nous voudrions bien pouvoir nous passer d’arbitraire, nous serions plus riches et plus forts ; mais nous avons affaire à des peuples de l’Asie. » En même temps on pense : « Nous voudrions bien pouvoir nous dispenser de parler libéralisme, philanthropie, nous serions plus heureux et plus forts ; mais nous avons à traiter avec les gouvernements de l’Europe. » Ces gouvernements, on les déteste, on les craint et on les flatte.

Il faut le dire, les Russes de toutes les classes