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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/127

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conspirent avec un accord merveilleux à faire triompher chez eux la duplicité. Ils ont une dextérité dans le mensonge, un naturel dans la fausseté dont le succès révolte ma sincérité autant qu’il m’épouvante. Tout ce que j’admire ailleurs, je le hais ici, parce que je le trouve payé trop cher : l’ordre, la patience, le calme, l’élégance, la politesse, le respect, les rapports naturels et moraux qui doivent s’établir entre celui qui conçoit et celui qui exécute, enfin tout ce qui fait le prix, le charme des sociétés bien organisées, tout ce qui donne un sens et un but aux institutions politiques, se confond ici dans un seul sentiment, la crainte. En Russie, la crainte remplace, c’est-à-dire paralyse la pensée ; ce sentiment, quand il règne seul, ne peut produire que des apparences de civilisation : n’en déplaise aux législateurs à vue courte, la crainte ne sera jamais l’âme d’une société bien organisée, ce n’est pas l’ordre, c’est le voile du chaos, voilà tout : où la liberté manque, manquent l’âme et la vérité. La Russie est un corps sans vie ; un colosse qui subsiste par la tête, mais dont tous les membres, également privés de force, languissent !… De là une inquiétude profonde, un malaise inexprimable, et ce malaise ne tient pas, comme chez les nouveaux révolutionnaires français, aux inconséquences de notre éducation, au vague des idées, à l’abus, à l’ennui de la prospérité matérielle, aux ja-