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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/130

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l’horreur que j’ai pour la fausseté qui me donne le désir et le courage d’écrire ce voyage : je l’ai entrepris par curiosité, je le raconterai par devoir.

La passion de la vérité est une muse qui tient lieu de force, de jeunesse, de lumières. Ce sentiment va si loin en moi qu’il me fait aimer le temps où nous vivons ; si notre siècle est un peu grossier, il est du moins plus sincère que ne le fut celui qui l’a précédé ; il se distingue par la répugnance quelquefois brutale qu’il montre pour toutes les affectations, et je partage cette aversion. La haine de l’hypocrisie est le flambeau dont je me sers pour me guider dans le labyrinthe du monde : ceux qui trompent les hommes, de quelque manière que ce soit, me paraissent des empoisonneurs, et les plus élevés, les plus puissants, sont les plus coupables. Quand la parole ment, quand l’écrit ment, quand l’action ment, je les déteste : quand le silence ment comme en Russie, je l’interprète. C’est le punir.

Voilà ce qui m’a empêché hier de jouir, par la pensée, d’un spectacle que j’admirais des yeux malgré moi ; s’il n’était pas touchant, comme on voulait me le faire croire, il était pompeux, magnifique, singulier, nouveau ; mais il paraissait trompeur ; cette idée suffisait pour lui ôter son prestige à mes yeux. La passion de la vérité qui domine aujourd’hui les cœurs français est encore inconnue en Russie.