Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/131

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Après tout, quelle est donc cette foule baptisée peuple, et dont l’Europe se croit obligée de vanter niaisement la respectueuse familiarité en présence de ses souverains ? ne vous y trompez pas : ce sont des esclaves d’esclaves. Les grands seigneurs envoient pour fêter l’Impératrice des paysans choisis et qu’on dit venus là au hasard ; ces serfs d’élite sont admis à l’honneur de représenter dans le palais un peuple qui n’existe point ailleurs ; ils font foule avec la domesticité de la cour, dont on accorde également l’entrée ce jour-là aux marchands les mieux famés, les plus connus par leur dévouement, car il faut quelques hommes à barbe pour satisfaire les vrais, les vieux Russes. Voilà en réalité ce que c’est que ce peuple dont les excellents sentiments sont donnés pour exemple aux autres peuples par les souverains de la Russie, depuis le temps de l’Impératrice Élisabeth ! C’est, je crois, de ce règne que datent ces sortes de fêtes ; aujourd’hui l’Empereur Nicolas, avec son caractère de fer, son admirable droiture d’intention, et toute l’autorité que lui assurent ses vertus publiques et privées, n’en pourrait peut-être pas abolir l’usage. Il est donc vrai que, même sous le gouvernement le plus absolu en apparence, les choses sont plus fortes que les hommes. Le despotisme ne se montre à découvert et indépendant que par moments, sous les fous ou sous les tyrans dont la fureur l’énerve.