Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/132

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Rien n’est si périlleux pour un homme, quelque élevé qu’il soit au-dessus des autres, que de dire à une nation : « On t’a trompée, et je ne veux plus être complice de ton erreur. » Le vulgaire tient au mensonge, même à celui qui lui nuit, plus qu’à la vérité, parce que l’orgueil humain préfère ce qui vient de l’homme à ce qui vient de Dieu. Ceci est vrai sous tous les gouvernements, mais c’est doublement vrai sous le despotisme.

Une indépendance comme celle des mougiks de Péterhoff n’inquiète qui que ce soit. Voilà une liberté, une égalité comme il en faut aux despotes ! on peut vanter celle-là sans risque : mais conseillez à la Russie une émancipation graduelle, vous verrez ce qu’on vous fera, ce qu’on dira de vous en ce pays.

J’entendais hier tous les gens de la cour en passant près de moi vanter la politesse de leurs serfs. « Allez donc donner une fête pareille en France, » disaient ils. J’étais bien tenté de leur répondre : « Pour comparer nos deux peuples, attendez que le vôtre existe. »

Je me rappelais en même temps une fête donnée par moi à des gens du peuple, à Séville ; c’était pourtant sous le despotisme de Ferdinand VII : la vraie politesse de ces hommes libres de fait, si ce n’est de droit, me fournissait un objet de comparaison peu favorable aux Russes[1].

  1. Voyez l’Espagne sous Ferdinand VII.