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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/133

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La Russie est l’empire des catalogues : à lire comme collection d’étiquettes, c’est superbe ; mais gardez-vous d’aller plus loin que les titres. Si vous ouvrez le livre, vous n’y trouverez rien de ce qu’il annonce : tous les chapitres sont indiqués, mais tous sont à faire. Combien de forêts ne sont que des marécages où vous ne couperiez pas un fagot !… Les régiments éloignés sont des cadres où il n’y a pas un homme ; les villes, les routes, sont en projet, la nation elle-même n’est encore qu’une affiche placardée sur l’Europe, dupe d’une imprudente fiction diplomatique[1]. Je n’ai trouvé ici de vie propre qu’à l’Empereur et de naturel qu’à la cour.

Les marchands, qui formeraient une classe moyenne, sont en si petit nombre qu’ils ne peuvent marquer dans l’État ; d’ailleurs, presque tous sont étrangers. Les écrivains se comptent par un ou deux à chaque génération : les artistes sont comme les écrivains, leur petit nombre les fait estimer ; mais si leur rareté sert à leur fortune personnelle, elle nuit à leur influence sociale. Il n’y a pas d’avocats dans un pays où il n’y a pas de justice ; où donc trouver cette classe moyenne qui fait la force des États, et sans laquelle

  1. L’auteur, en laissant cette boutade, la donne pour ce qu’elle vaut. Son humeur aigrie par l’affectation d’une popularité impossible le pousse à la révolte contre une déception d’autant plus dangereuse qu’elle a trompé de bons esprits.