Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/177

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qui eût trahi mon embarras et compromis la cause que je désirais plaider : « Mais, ma mère, s’écria-t-il vivement, qui jamais a demandé à un enfant de quinze ans ce qu’il a fait en politique ? »

Cette réponse pleine de cœur et de sens me tira de peine ; mais elle mit fin à la conversation. Si j’osais interpréter le silence de l’Impératrice, je dirais que voici ce qu’elle pensait : « Que faire aujourd’hui, en Russie, d’un Polonais rentré en grâce ? Il sera toujours un objet d’envie pour les vieux Russes, et il n’inspirera que de la défiance à ses nouveaux maîtres. Sa vie, sa santé se perdront dans les épreuves auxquelles on sera obligé de le soumettre pour s’assurer de sa fidélité ; puis, en dernier résultat, si l’on croit pouvoir compter sur lui, on le méprise, précisément parce qu’on y compte. D’ailleurs, que puis-je faire pour ce jeune homme ? j’ai si peu de crédit !

Je ne crois pas me tromper de beaucoup en disant que telles étaient les pensées de l’Impératrice : telles étaient aussi à peu près les miennes. Nous conclûmes tout bas, l’un et l’autre, qu’entre deux malheurs, le moindre pour un gentilhomme qui n’a plus ni concitoyens, ni frères d’armes, c’est de rester loin du pays qui l’a vu naître : la terre seule ne fait pas la patrie, et la pire des conditions serait celle d’un homme qui vivrait en étranger chez lui.