Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/201

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manquablement. Il fut sauvé, mais avarié, forcé de renoncer à continuer sa route, et trop heureux de rentrer au plus vite à Pétersbourg. Si l’Anglais qui l’a préservé du naufrage n’était de la connaissance d’un autre Anglais de mes amis, j’aurais ignoré que ce bâtiment avait couru des risques. J’en ai dit un mot à quelques personnes bien instruites ; elles m’ont confirmé le fait, mais avec prière de le tenir secret !…..

Il serait inconvenant de parler du déluge si cette catastrophe était arrivée sous le règne d’un Empereur de Russie.

De toutes les facultés de l’intelligence, la seule qu’on estime ici c’est le tact[1]. Figurez-vous une nation entière ployée sous le joug de cette vertu de salon. Représentez-vous tout un peuple devenu prudent comme un diplomate qui a sa fortune à faire ; et vous aurez l’idée de ce que devient l’agrément de la conversation en Russie. Si l’air de la cour nous pèse même à la cour, combien ne doit-il pas nous paraître contraire à la vie quand il nous poursuit jusque dans notre intérieur le plus secret.

La Russie est une nation de muets ;. quelque magicien a changé soixante millions d’hommes en automates qui attendent la baguette d’un autre enchanteur pour renaître et pour vivre. Ce pays me fait l’effet du palais de la Belle au bois dormant : c’est

  1. Voyez M. Gretsch.