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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/233

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voir qu’il pensait, sans le dire, qu’un jour peut-être Pouschkin ressusciterait en lui, et que le fils de l’Empereur récompenserait le second poëte de la Russie, comme l’Empereur honore le premier…Téméraire !… ambitionner une renommée, avouer la passion de la gloire sous le despotisme ! c’est comme si Prométhée eût dit à Jupiter : « Prends garde, défends-toi ; je vais te dérober la foudre. » Or, voici quelle récompense reçut le jeune aspirant au triomphe, c’est-à-dire au martyre. Le malheureux, pour s’être fié insolemment à l’amour public de son maître pour les beaux-arts et pour les belles-lettres, encourut sa disgrâce particulière, et reçut en secret l’ordre d’aller développer ses dispositions poétiques au Caucase, succursale adoucie de l’antique Sibérie.

« Après être resté là deux années, il en est revenu avec une santé délabrée, une âme abattue, une imagination radicalement guérie de ses chimères, en attendant que son corps guérisse aussi des fièvres de Géorgie. Après ce trait, vous fierez-vous encore aux paroles officielles de l’Empereur, à ses actes publics ? »

Voici à peu près ce que je répondis au récit de mon compatriote :

« L’Empereur est homme, il participe aux faiblesses humaines. Quelque chose l’aura choqué dans la direction des idées de ce jeune poëte. Soyez sûr qu’elles étaient européennes plutôt que nationales.