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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/234

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L’Empereur fait le contraire de Catherine II ; il brave l’Europe au lieu de la flatter : c’est un tort, j’en conviens, car la taquinerie est encore une espèce de dépendance, puisqu’avec elle on ne se détermine que par la contradiction ; mais ce tort est pardonnable, surtout si vous réfléchissez au mal fait à la Russie par des princes qui furent possédés toute leur vie de la manie de l’imitation.

— Vous êtes incorrigible, s’est écrié l’avocat des derniers boyards. Vous aussi vous croyez à la possibilité d’une civilisation à la russe. C’était bon avant Pierre Ier, mais ce prince a détruit le fruit dans son germe. Allez à Moscou, c’est le centre de l’ancien Empire ; vous verrez cependant que tous les esprits s’y tournent vers les spéculations industrielles, et que le caractère national est aussi effacé là qu’il l’est à Saint-Pétersbourg. L’Empereur Nicolas commet aujourd’hui, dans un autre sens, une faute pareille à celle de l’Empereur Pierre Ier. Il compte pour rien l’histoire d’un siècle entier, du siècle de Pierre le Grand ; l’histoire a ses fatalités, partout le passé étend son influence sur le présent. Malheur au prince qui ne veut pas s’y soumettre ! »

L’heure était avancée ; nous nous séparâmes, et je continuai ma promenade, rêvant tout seul à l’énergique sentiment d’opposition qui doit germer dans des âmes habituées à réfléchir dans le silence du des-