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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/236

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Au reste, le vrai poëte moscovite, s’il existait, ne pourrait aujourd’hui parler qu’au peuple ; il ne serait ni entendu ni lu dans les salons. Où il n’y a pas de langue, il n’y a pas de poésie : il n’y a pas non plus de penseurs. On rit aujourd’hui de ce que l’Empereur Nicolas exige qu’on parle russe à la cour ; cette nouveauté paraît l’effet d’un caprice du maître ; la génération suivante le remerciera de cette victoire du bon sens sur le beau monde.

Comment l’esprit naturel se ferait-il jour dans une société où l’on parle quatre langues avant d’en savoir une ? L’originalité de la pensée tient de plus près qu’on ne croit à l’intégrité de l’idiome. Voilà ce qu’on oublie en Russie depuis un siècle, et en France depuis quelques années. Nos enfants se ressentiront de la manie des bonnes anglaises qui s’est emparée chez nous de toutes les mères fashionables.

En France, le premier et je crois le meilleur maître de français, c’était la nourrice : l’homme doit étudier sa langue naturelle toute sa vie, mais l’enfant ne doit pas l’apprendre, il la reçoit au berceau sans étude. Au lieu de cela nos petits Français d’aujourd’hui balbutient l’anglais et estropient l’allemand en naissant : puis on leur enseigne le français comme une langue étrangère.

Montaigne se félicite d’avoir appris le latin avant le français ; c’est peut-être à cet avantage dont s’ap-