Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/238

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facultés des intelligences paresseuses ou tournées vers un but matériel ; mais si le malheur veut que ce système soit, une fois entre mille, appliqué à l’éducation d’un talent supérieur, il arrête le travail de la nature, il égare le génie et lui prépare pour l’avenir une source de regrets stériles ou de travaux auxquels peu d’hommes même distingués ont le loisir et le courage de se livrer passé la première jeunesse. Tous les grands écrivains ne sont pas des Rousseau : Rousseau étudia notre langue comme un étranger et il fallut son génie d’expression, sa mobilité d’imagination, joints à sa ténacité de caractère ; enfin il fallut son isolement dans la société pour qu’il pût parvenir à savoir le français comme s’il ne l’eût point appris. Cependant le français des Genevois est moins loin de celui de Saint-Simon et de Fénelon que le jargon mêlé d’anglais et d’allemand qu’apprennent aujourd’hui à Paris les enfants des personnes élégantes par excellence. Je dis plus, peut-être l’artifice qui paraît trop dans les phrases de Rousseau n’existerait-il pas, si le grand écrivain fût né en France dans le temps où les enfants y parlaient français. La confusion des langues favorise le vague des idées : la médiocrité s’en accommode, la supériorité s’en indigne, et s’épuise à refaire l’instrument du génie : la langue. Si l’on n’y prend garde, dans cinquante ans, le français, le vrai, le vieux français sera une langue morte.