Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/258

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bravé jusque chez lui par un serf indocile ; elle crut l’adoucir en lui disant ces paroles pleines de raison : il y a deux ans que vous avez fait battre presqu’à mort mon pauvre frère de lait ; qu’en avez-vous obtenu par vos outrages ? rien ; pas un mot d’excuse n’est sorti de sa bouche ; il aurait rendu l’âme sous les verges plutôt que de s’abaisser devant vous. C’est que la peine fut trop sévère pour l’offense ; un coupable révolté ne se repent pas. Il vous avait désobéi, j’en conviens ; mais il était amoureux de Catherine ; la cause de la faute en diminuait la gravité, voilà ce que vous n’avez pas voulu comprendre. Depuis cette scène et le mariage et le départ qui l’ont suivie, la haine de tous nos paysans est devenue si terrible qu’elle me fait peur pour vous, mon père.

— Et voilà pourquoi tu te réjouis du retour d’un de mes plus redoutables ennemis ? s’écria Telenef exaspéré.

— Ah ! je ne crains pas celui-ci ; nous avons bu le même lait : il mourrait plutôt que de m’affliger.

— Ne l’a-t-il pas bien prouvé vraiment ?… Il serait le premier à m’égorger, s’il l’osait.

— Vous le jugez mal ; au contraire, Fedor vous défendrait envers et contre tous, j’en suis sûre, quoique vous l’ayez mortellement offensé ; vous vous souviendrez de votre rigueur pour qu’il l’oublie, lui ; n’est-il pas vrai, mon père ? Il est marié maintenant