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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/269

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il pâlissait à l’aspect d’un roseau, d’une baguette dans la main d’un homme.

On doit le répéter : il avait commencé sa vie d’une manière trop facile ; favorisé par l’intendant, et dès lors ménagé par tous ses supérieurs, envié de ses camarades, cité comme le plus heureux aussi bien que le plus beau des hommes nés sur les terres du prince*** ; idolâtré de sa mère, ennobli à ses propres yeux par l’amitié de Xenie, par cette amitié ingénieuse et délicate d’une femme adorable, d’un ange qui l’appelait son frère, il n’avait point été préparé aux rigueurs de sa condition ; et c’est en un jour qu’il découvrit toute sa misère ; dès lors il considéra les nécessités de sa vie comme une injustice ; avili aux yeux des hommes, mais surtout à ses propres yeux, de l’être le plus heureux il était devenu, en un moment, le plus à plaindre ; le dieu tombé de l’autel fut métamorphosé en brute. Qui le consolera de tant de bonheur évanoui pour jamais sous la verge du bourreau ? L’amour d’une épouse pourrait-il relever cette orgueilleuse âme d’esclave ? non !… sa félicité passée le poursuivra partout et lui rendra la honte plus insupportable. Sa sœur Xenie a cru lui assurer la paix en le mariant : il a obéi ; mais cette condescendance ne servit qu’à croître son malheur, car l’homme qui veut s’enchaîner à la vertu en accumulant les devoirs ne fait qu’ouvrir de nouvelles sources aux remords.