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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/271

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trompée cette fois par le silence de Fedor ; elle n’attribuait le chagrin de son frère qu’à des souvenirs pénibles, et pensait que la vue des lieux où il avait souffert suffisait pour aigrir sa douleur ; elle comptait toujours sur l’amour et sur l’amitié pour achever de guérir sa plaie.

En quittant son frère, elle lui promit d’aller le voir souvent dans la cabane de sa nourrice.

Le dernier regard de Fedor effraya pourtant la jeune fille : il y avait plus que de la tristesse dans ce regard : il y avait une joie féroce, tempérée par une inexplicable sollicitude. Elle craignait qu’il ne devînt fou.

La folie lui avait toujours causé une terreur qui lui paraissait surnaturelle, et comme elle attribuait cette crainte à un pressentiment, sa superstition augmentait l’inquiétude qu’elle ressentait. La peur, quand on la prend pour une prophétie, devient indomptable… ; d’un pressentiment vague et fugitif on fait une destinée ; à force de prévoyance l’imagination crée ce qu’elle redoute ; raison, vérité, réalité, elle finit par vaincre même le sort, et par dominer les événements pour réaliser ses chimères.

Quelques jours s’étaient écoulés pendant lesquels Telenef avait fait de fréquentes absences. Xenie, tout entière au chagrin que lui causait l’incurable mélancolie dont Fedor paraissait atteint depuis son