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Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/293

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des hommes d’une beauté remarquable ; tous ont l’air naturellement noble et doux : ce sont des anges féroces, des démons au visage céleste. Fedor lui-même ressemble en beau à ses persécuteurs. Tous les Russes de pure race slave ont un air de famille ; et même lorsqu’ils s’exterminent, on voit que ce sont des frères : circonstance qui rend le carnage plus horrible. Voilà ce que peut devenir l’homme de la nature quand il s’abandonne à des passions excitées par une civilisation trompeuse.

Mais alors ce n’est plus l’homme de la nature, c’est l’homme perverti par une société marâtre. L’homme de la nature n’existe que dans les livres ; c’est un thème à déclamation philosophique, un type idéal d’après lequel raisonnent les moralistes comme les mathématiciens opèrent, dans certains calculs, sur des quantités supposées, qu’ils éliminent ensuite pour arriver à un résultat positif. La nature, pour l’homme primitif comme pour l’homme dégénéré, c’est une société quelconque, et quoi qu’on en puisse dire, la plus civilisée est encore la meilleure.

Le cercle fatal s’ouvre un moment pour laisser entrer Fedor et son exécrable cortége ; Telenef était tourné de manière à n’apercevoir pas d’abord son jeune libérateur. Son supplice allait commencer quand un murmure d’épouvante parcourt la foule.

Un spectre !… un spectre !… c’est elle !… s’écrie--