Page:Custine - La Russie en 1839 troisieme edition vol 2, Amyot, 1846.djvu/298

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répéter ces paroles qui sortent mécaniquement de sa bouche avec une volubilité effrayante et sans un instant de relâche : « C’est donc moi qu’il aimait ! »

Sa pensée, sa vie, se sont arrêtées et concentrées sur l’aveu involontaire de l’amour de Fedor, et les organes de l’intelligence, continuant leurs fonctions, pour ainsi dire, par l’effet d’un ressort, obéissent comme en rêve à ce reste de volonté qui leur com mande de dire et de redire la parole mystérieuse et sacrée qui suffit à sa vie.

Si Fedor n’a pas péri après Telenef, ce n’est pas à la fatigue des bourreaux qu’il a dû son salut, c’est à celle des spectateurs ; car l’homme inactif se lasse du crime plus vite que l’homme qui l’exécute : la foule, saturée de sang, demanda qu’on remît le supplice du jeune homme à la nuit suivante. Dans l’intervalle, des forces considérables arrivèrent de plusieurs côtés. Dès le matin, tout le canton où la révolte avait pris naissance fut cerné ; on décima les villages : les plus coupables, condamnés non à mort, mais à cent vingt coups de knout, périrent ; puis on déporta le reste en Sibérie. Cependant les populations voisines de Vologda ne sont point rentrées dans l’ordre ; on voit chaque jour des paysans de divers cantons, exilés en masse, partir par centaines pour la Sibérie. Les seigneurs de ces villages désolés se trouvent ruinés ; puisque, dans ces sortes de propriétés, les hommes